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Contrecarrer les rumeurs

06 mars 2005 Association
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Source : Les Echos

Pour lutter contre la diffusion d'informations infondées, les managers utilisent différentes stratégies. Des mesures préventives aux approches combatives, ces démarches variées peuvent permettre d'éviter les effets dévastateurs des rumeurs.
Les stratégies de communication sont indispensables aux activités des entreprises, qu'il s'agisse des opérations commerciales habituelles, des changements de l'organisation (restructuration, fusion, réduction des effectifs), de l'introduction ou de la modification de produits et services, ou de gestion des situations de crise. Les campagnes de communication sont susceptibles de réussir quand elles révèlent plutôt qu'elles ne dissimulent, lorsqu'elles réduisent les doutes et établissent durablement un climat de confiance auprès des différents publics de l'entreprise. Comme si ces tâches n'étaient pas assez difficiles, une entreprise doit aussi se préparer à contrer des campagnes de désinformation apparaissant sous forme de rumeurs non vérifiées.

Pour les managers d'aujourd'hui, les rumeurs représentent un concurrent de taille sur le marché de l'échange d'informations. Elles peuvent détruire le coeur et l'âme d'une entreprise. En générant et en exacerbant malentendus et craintes, elles peuvent diminuer la productivité et créer un stress injustifié parmi le personnel et les consommateurs. Elles peuvent ternir l'image de la société et de la marque, ébranler la crédibilité de l'entreprise, favoriser des boycotts par les consommateurs et faire des ravages sur les marchés financiers. De nombreux dirigeants ont appris à leurs dépens qu'une absence de réponse rapide et efficace aux rumeurs peut avoir des conséquences désastreuses.

Toute entreprise, un jour ou l'autre, est perturbée par la diffusion d'histoires non vérifiées et d'informations douteuses sur ses activités. Alors que la plupart d'entre elles sont relativement inoffensives, parfois la situation s'envenime. Un exemple frappant, apparu au début des années 80 aux Etats-Unis, fut celui de Procter & Gamble (P & G), devenu la cible d'une rumeur dans tout le pays qui l'associait à la sorcellerie et au satanisme. P & G répondit de différentes façons, qui allaient du profil bas (dans l'espoir que les histoires s'éteignent d'elles-mêmes), jusqu'au combat agressif de la rumeur par l'envoi de courriers aux églises, par la proclamation de démentis dans les médias et par la menace de poursuite de ses propagateurs. En fin de compte, la société décida de retirer le logo de la société - prétendument symbole de satanisme et de culte du démon - des emballages de ses produits. Mais, alors que ces stratégies réussirent relativement bien à court terme, P & G continue à ce jour de recevoir des questions de consommateurs inquiets. Au cours de ces dernières années, P & G a répondu à environ 200.000 appels et lettres au sujet de ces fausses rumeurs et a récemment déposé plainte contre un concurrent suspecté d'avoir joué un rôle dans leur diffusion.

P & G n'est pas la seule société à devoir affronter des rumeurs infondées. McDonald's a été suspecté d'utiliser des vers pour relever le taux de protéines de ses hamburgers. La rumeur des vers avait auparavant atteint Wendy's, un concurrent de McDonald's, entraînant dans les zones où elle circulait des pertes de 30 % sur les ventes. Dans un autre cas célèbre, les bonbons pétillants Pop Rocks Crackling Candy de General Foods étaient supposés faire exploser l'estomac s'ils étaient consommés en même temps qu'une boisson gazeuse. En 1976, en France, un prospectus injustement attribué à l'Institut Gustave-Roussy de Villejuif dénonçait le caractère cancérigène de plusieurs additifs alimentaires inoffensifs, faisant peser des soupçons sur des produits anodins comme le fromage La Vache-qui-Rit ou la moutarde Amora. Au milieu des années 80, le prospectus de Villejuif circulait encore en France, et avait même fait son apparition dans d'autres pays.

Ces exemples montrent que les rumeurs commerciales impliquent des thèmes de conspiration ou de contamination. Les rumeurs de conspiration concernent des politiques ou des pratiques d'entreprise jugées menaçantes, ou idéologiquement indésirables, par les consommateurs. Les rumeurs de contamination prétendent qu'une caractéristique du produit peut être nocive ou indésirable pour le consommateur. La même entreprise peut être la cible de plusieurs rumeurs (processus dit « convergent »), et plusieurs entreprises peuvent être victimes d'une même rumeur (processus dit « divergent »), pas nécessairement en même temps.

Les rumeurs du marché

Une caractéristique essentielle de la rumeur est l'absence de certitude sur la validité de son message. Une histoire très répandue, officiellement fausse, peut être cependant considérée comme une rumeur tant qu'il persiste un doute. Comme idée proposée pour expliquer des sujets d'intérêt actuel, la rumeur peut être considérée comme une hypothèse reflétant les suppositions des gens ou leur interprétation de la réalité. Dans la rumeur se retrouve une unanimité sociale inconsciente et une adhésion à des croyances communes.

Comme la plupart des rumeurs, celles qui apparaissent sur le marché résultent d'un mélange d'incertitudes, d'anxiété et d'une curiosité naturelle pour les informations privées. Les résultats des recherches ont régulièrement montré que l'activité de la rumeur (fréquence avec laquelle une rumeur est transmise) est associée à l'incertitude (quantité de questions que les gens se posent sur tel événement actuel ou futur), à l'anxiété (jusqu'à quel point sont-ils inquiets ou concernés), et à la croyance dans la rumeur (degré de certitude de sa véracité) (voir figure 1). Avec cet éclairage, les rumeurs de contamination au sujet de produits alimentaires connus, comme les rumeurs sur McDonald's ou Villejuif, peuvent être en partie expliquées par l'incertitude et l'anxiété largement répandues dans notre société contemporaine concernant les additifs, le cholestérol et d'autres risques de santé alimentaires.

Les craintes et incertitudes sous-jacentes peuvent aussi se trouver au coeur des rumeurs de conspiration. Les rumeurs sataniques de P & G étaient particulièrement actives parmi les groupes religieux aux USA à un moment où leurs membres étaient menacés par des attaques croissantes sur leurs prises de position sur l'avortement, la prière, ou dans d'autres domaines. La diffusion de rumeurs, dans ce contexte, permet de récupérer de la maîtrise et du sens au milieu d'événements ambigus ou menaçants.

Quelques rumeurs récurrentes semblent suggérer une certaine méfiance vis-à-vis des puissantes compagnies ; en fait, bien souvent, des rumeurs impliquant au départ des petites entreprises ou des produits moins connus se déplacent avec le temps sur des cibles plus importantes. Quand des franchises de fast-food à succès comme McDonald's deviennent des cibles, les rumeurs reflètent des inquiétudes sur l'honnêteté des grandes entreprises commerciales. Propager des rumeurs permet à des consommateurs frustrés ou hostiles de décharger leur colère, ou d'avoir l'impression de prendre leur revanche sur une compagnie pour des griefs réels ou imaginaires.

Programme d'action

Etant donné la nature persistante et passive des rumeurs, que peut faire une entreprise pour les combattre efficacement ou empêcher leur survenue ? Malheureusement, aucune stratégie n'offre la garantie de fonctionner en toute situation. Un responsable de relations publiques suggérait que chercher à contrôler une rumeur revenait à « essayer de mettre du brouillard en boîte ».

Les mesures préventives de base

A partir de la recherche en sciences comportementales et d'études de cas, les spécialistes en rumeurs recommandent plusieurs étapes fondamentales qui peuvent contribuer à la prévention des rumeurs commerciales.

Etape n^o 1 : anticiper les rumeurs. Du fait de leur augmentation en nombre dans les dernières décennies, les rumeurs devraient davantage être considérées comme une norme que comme une exception. Les responsables marketing devraient s'attendre à rencontrer des rumeurs nuisibles à tout moment. Pour réduire la probabilité de leur apparition, tout événement susceptible de créer une incertitude ou de l'anxiété doit être évité. Bien sûr, cela est plus facile à dire qu'à faire. Mais il est possible de se faire une bonne idée des actions pouvant générer des rumeurs en restant en contact avec les consommateurs, les distributeurs, les détaillants et les autres parties prenantes de l'entreprise. Les responsables d'entreprise doivent vérifier les faits dès qu'une rumeur devient manifeste et essayer d'en savoir le plus possible sur sa diffusion.

Etape n^o 2 : établir confiance et crédibilité. Maintenir un climat de confiance à la fois dans et hors de l'organisation peut limiter l'émergence de rumeurs malveillantes. Un climat de confiance empêchera également que des événements équivoques ne soient interprétés de façon malveillante. Les responsables marketing peuvent maintenir un climat de confiance par des publicités non mensongères, des pratiques éthiques de vente et de promotion, et en respectant les promesses et les garanties de vente.

Etape n^o 3 : informer régulièrement le public. Il est particulièrement important de garder des voies d'information accessibles dès le début, en établissant une ligne téléphonique directe ou un site Internet interactif pour répondre aux interrogations du consommateur. Les communiqués de presse et les rencontres avec le public peuvent (début de la tourne) aussi être utilisés pour réduire les niveaux d'incertitude et accroître le scepticisme sur les rumeurs en général. Les communications doivent être faites sur mesure, en fonction des besoins d'information des différents publics cibles. Dernièrement, la firme Coca-Cola a été très critiquée pour ne pas avoir informé rapidement et efficacement les consommateurs quant à la nature de ses problèmes d'emballage et sur les retraits de ses produits en Europe.

Etape n^o 4 : surveiller les effets possibles des rumeurs. Des changements dans le volume des ventes, dans le chiffre d'affaires de la force de vente, et des indications de changement de marque par les consommateurs peuvent signaler des effets précoces de rumeurs. En restant vigilants vis-à-vis de ces événements, les dirigeants peuvent commencer à intervenir dès le stade initial de la rumeur.

La détection précoce des rumeurs est essentielle pour réduire leur dissémination, car plus une rumeur est répétée plus elle sera susceptible d'être crue. De plus, au fur et à mesure qu'elle circule, les propagateurs de la rumeur auront tendance à l'affiner vers une proposition plus plausible.

Stratégies pour gérer les rumeurs existantes

Plusieurs options sont possibles une fois les détails spécifiques de la rumeur connus. Le succès de l'approche choisie dépendra du type et de la sévérité de la rumeur, de son extension, et d'autres facteurs.

Option n^o 1 : ne rien faire. De nombreuses sociétés ont d'abord répondu aux rumeurs en ne faisant rien, dans l'espoir qu'elles s'éteignent progressivement d'elles-mêmes. Telle a été la réponse du président-fondateur de la Snapple Beverage Corporation à des rumeurs de soutien de groupes anti-avortement aux USA par son entreprise au début des années 90. Considérant l'histoire ridicule, il l'a ignorée, avant de s'apercevoir qu'en quelques semaines la rumeur anti-avortement ainsi que d'autres mensonges sur sa société s'étaient répandus dans tout le pays et commençaient à susciter des menaces de boycottages chez les consommateurs.

L'approche consistant à ne rien faire n'est recommandée que dans des cas limités, quand la rumeur va vraisemblablement devenir non pertinente, ou qu'elle échoue à générer un intérêt continu. S'il est courant de penser que les récits ridicules s'éteindront vite d'eux-mêmes, ce sont souvent ceux-là qui se répandent rapidement et menacent les intérêts des entreprises.

Option n^o 2 : ridiculiser une rumeur. Voici une autre stratégie ayant des possibilités limitées. Attirer l'attention sur une rumeur de façon spirituelle ou ne pas en tenir compte pour la raison que son absurdité ne justifie pas une défense peut servir à ébranler la croyance dans une rumeur. Après tout, une société se moquerait-elle d'une histoire nuisible si elle était vraie ? Cependant, si les inquiétudes sont importantes et la rumeur plausible, cette stratégie peut exacerber le problème en suggérant que la société ne prend pas en compte sérieusement les préoccupations du public.

Option n^o 3 : confirmer une vraie rumeur. Les rumeurs contiennent souvent un brin de vérité. Une façon de réduire la production de rumeurs est de confirmer la part qui est exacte. Cette franchise peut permettre d'établir une confiance à l'égard de l'entreprise et réduire l'envie de diffuser une information non vérifiée.

Option n^o 4 : réfuter une fausse rumeur. Parce qu'ils sont attendus, les démentis catégoriques sont souvent reçus avec scepticisme et peuvent en fait augmenter la croyance dans les rumeurs. Quand une fausse rumeur est niée, elle doit l'être vite et avec efficacité, sans la répéter plus que nécessaire. Un porte-parole approprié devrait émettre un démenti à la hauteur du sérieux et de la portée de la rumeur. Des personnalités extérieures crédibles - tels que des leaders reconnus - peuvent aussi être engagées. Les meilleurs démentis sont ceux qui sont basés sur la vérité (montrant la preuve du caractère non fondé de la rumeur), faciles à comprendre et présentés comme des messages forts, concis et mémorables. Une campagne de relations publiques peut également être lancée, mettant en avant les traits positifs de la société impliquée. McDonald's a combattu avec succès la rumeur sur les vers dans ses hamburgers en publiant une lettre du ministre de l'Agriculture aux USA, établissant que les produits de McDonald's satisfaisaient à tous les standards de santé gouvernementaux, et en mettant en relief la phrase « 100 % pur boeuf » dans sa publicité. La société a aussi informé le public que la viande de vers était beaucoup plus onéreuse que la viande de hamburger, et par conséquent ne serait pas un substitut valable au niveau financier.

Pour des rumeurs particulièrement gênantes, il est recommandé aux sociétés d'inclure leurs démentis dans une campagne globale d'affrontement, avec des conférences de presse et des informations dans lesquelles la rumeur est décrite comme un mensonge flagrant, d'une injustice grossière. L'objectif de cette stratégie est de convertir la rumeur en une histoire sur une fausse rumeur.

Quelle que soit l'approche choisie pour combattre une rumeur, elle présente un risque. Le point clé est de traiter toutes les rumeurs commerciales comme des menaces sérieuses et d'essayer de neutraliser les inquiétudes et les incertitudes sous-jacentes qui peuvent alimenter ces rumeurs. Bien que la simple idée de rumeur puisse faire paniquer certains responsables, des stratégies soigneusement déterminées peuvent éviter, avec succès, leurs effets dévastateurs potentiels.



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